Apprendre de l'artiste

"De l'art, nous avons à prendre de la graine" J. Lacan

  • Apprendre ?

    "(...) le seul avantage qu'un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui fût-elle donc reconnue comme telle, c'est de se rappeler avec Freud qu'en sa matière, l'artiste toujours le précède et qu'il n'a donc pas à faire le psychologue là où l'artiste lui fraie la voie" Jacques Lacan, Autres écrits, Hommage fait à Marguerite Duras, p192.
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Violente Adolescence : un éléphant qui ne trompe pas, par Eduardo Scarone

Posted by eduasca sur 30 avril 2009

VIOLENTE ADOLESCENCE

projection + débat

film ELEPHANT de Gus Van Sant

le jeudi 30 avril 2009 à 20h45 au cinéma Le Cratère à Toulouse

soirée animée par

Christiane Terrisse, Florence Nègre, Victor Rodriguez, André Soueix et Eduardo Scarone

Organisée en collaboration avec le groupe MAFALDA du Nouveau Réseau CEREDA (NRC) (Institut du Champ freudien) dans le cadre de la préparation de la Rencontre PIPOL4 « Clinique et pragmatique de la [des]insertion en psychanalyse » (Barcelona 11&12 juillet 2009), cette soirée se situait en série avec celle proposée par nos collègues du groupe CHE VUOI? du NRC avec le film PARANOÏD PARK, le 28 mai, au cinéma Utopia à Bordeaux.

Le Séminaire Apprendre de l’Artiste rend ainsi hommage à ce cinéaste contemporain qui sait prendre la mesure de la rencontre avec le réel à l’adolescence et de la violence que cette rencontre suppose. Pour chacun, le film indique cette radicalité du moment adolescent dans lequel, malgré le savoir que l’on peut avoir ou accumuler sur un fait réel, nous ne réussirons résolument pas à en saisir véritablement la cause.

Comme l’indiquait Florence Nègre lors de cette soirée, Elephant s’inscrit dans une série de films du réalisateur qui présentent le point commun de s’attacher au moment subjectif particulier que constitue l’adolescence pour laquelle Gus Van Sant a un credo: « S’il y avait une nouvelle ère glaciaire, ils (ceux entre 15 et 25 ans) seraient les seuls à s’adapter et à survivre, c’est autour d’eux que la civilisation se reformerait. » C’est un âge dit-il encore, dont on ne se détache pas. » Ces années sont les plus importantes de notre vie, celles dont on garde les plus forts souvenirs, où l’on ressent des émotions, des émois esthétiques, que rien ne surpassera. Un jour on se demande comment ces années ont fini par filer mais c’est cet âge qui nous guide toujours, le foyer créatif de notre société, et celle-ci ne sait que s’en méfier. »

Elle a précisé que Gus Van Sant s’inspire donc de l’adolescence et tout particulièrement dans cette série de films veut y inscrire un questionnement sur la mort et la dimension de l’acte avec une démarche stylistique qui tient à sa position personnelle et éthique à savoir de ne pas proposer d’hypothèse explicative tout en ne cessant pas de chercher à cerner l’expérience au plus près de ce qu’elle  a de réel.

Elle a relevée également que les actes des adolescents de ses films : tuer (dans Elephant), se perdre à mort (dans Last days), se taire après avoir provoqué la mort d’un homme, ou bien, écrire l’acte commis (dans Paranoïd Park), ne se valent pas. Gus Van Sant les explore. Il décide à chaque fois de ranger la cause subjective qui préside à l’acte du côté de l’insaisissable au sens lacanien d’une « insondable décision de l’être ».

On trouve dans ces films l’expression du malaise propre à l’adolescence, intemporel, (sur le mode de n’être pas préparé à:.. l’Autre sexe, ou n’être pas préparé à … une rencontre avec un réel d’une façon plus générale.

Florence Nègre a enfin indiqué que l’on trouve également dans ces films l’expression d’un malaise,qui nous est contemporain, lui, où tant les figures parentales que l’Autre sexe ne constituent plus assurément les principales bornes symboliques de ce passage, de ce franchissement vers l’inconnu.

Un éléphant qui ne trompe pas

Notes sur le film Elephant de Gus Van Sant

par Eduardo Scarone

Il y a exactement 10 ans, deux adolescents ouvraient le feu dans l’établissement d’enseignement qu’ils fréquentaient : le Collège de Columbine, faisant plusieurs morts parmi leurs camarades et professeurs.

Gus Van Sant s’empare de cette question en 2003 et crée l’évènement avec un film exceptionnel : ELEPHANT, qui reçoit cette même année la Palme d’Or au Festival de Cannes et le prix de l’Education Nationale. Grâce à l’artiste, le crime peut être élaboré, devenir un objet qui permet à chacun d’y accrocher un élément de réponse, de responsabilité, d’interrogation sur notre époque et sur les signes de la déprise sociale chez les adolescents. L’adolescence est le nom d’une rencontre avec un réel jusque-là ignoré, la psychanalyse y a toujours trouvé a s’en enseigner, non pas dans un but statistique, informatif, mais clinique et pragmatique. La violence surgit à l’adolescence comme réponse à une satisfaction impossible à nommer ou à supporter, à traduire dans les limites du socialement acceptable. Les parents, les enseignants, les éducateurs, les soignants, chacun comme citoyen peut se saisir de ce que l’artiste énonce dans le monde.

Quelles réponses inventent les adolescents d’aujourd’hui face au malaise? A quelles impasses sont-ils parfois confrontés? Quelle est l’actualité de ce film en ce début de XXIe siècle? Quelles questions nous adresse le cinéaste à propos de ce moment de métamorphose subjectif qu’est l’adolescence? « Délicate transition », selon l’expression que Philippe Lacadée a empruntée à Victor Hugo. Il animera, avec des participants de Mafalda, la seconde soirée organisée à Bordeaux au mois de mai, autour du film « Paranoïd park ».

Au regard de l’acte en tant qu’il est ce qui veut dire, tout passage à l’acte ne s’opère qu’à contresens.

Jacques Lacan, « La logique du fantasme » in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.325

L’acte meurtrier de deux adolescents au collège de Columbine, le 20 avril 1999 a inspiré deux films. L’un plutôt documentaire, Bowling for Columbine, de Michael Moore, sorti en 2000, qui a connu un succès remarqué aussi bien aux Etats Unis qu’en France, et dont les thèses psycho-sociologiques incriminent la politique et la socialité telle qu’elles se développent à notre époque et, en particulier, au nord du continent américain. Le second, Elephant, de Gus Van Sant, sorti en 2003, a constitué un nouvel événement car il liait une démarche purement cinématographique à une position éthique qui consistait à ne pas proposer d’hypothèse explicative de l’acte, mais plutôt une pluralité de thèses qui laissent en son centre un réel inassimilable à la raison.

Selon un conte soufi, « des aveugles qui se heurtent à la grosse bête ne la reconnaissent pas, chacun palpant de sa main autre chose : l’un pense s’être cogné contre un arbre, l’autre contre un serpent, le troisième contre un mur … Et tous ont raison, leur dit en riant un passant qui, lui, aurait des yeux pour voir « la Chose« . » (A. Attayyeb, La Chose, coll. Grandir, 2000, cité par Yvonne Lachaize-Œhmichen, « Mon film vous dérange? Moi aussi« , in La Petite Girafe n°19, avril 2004, p.103)

Gus Van Sant, nous propose un cinéma contre-identificatoire qui ne s’appuie pas sur autre chose que sur le désir du cinéaste : faire passer une jouissance au semblant cinématographique.

Inscrivant son film dans la référence à celui d’Alan Clark (1990), lui empruntant, non seulement le titre, mais également un trait de style, GVS suit les déambulations des adolescents dans le collège. Le lieu qui semble être l’emblème de la socialisation sera la scène de la solitude et de l’horreur. GVS filme une heure de la vie de l’établissement, en décomposant le temps, pour effectuer des allées-retours, des changements de point de vue ; une heure avant que n’advienne la tuerie. Voyez tous ces adolescents aller et venir, c’est vous, c’est votre enfant, on ne sait pas à l’avance qui sera l’assassin, qui la victime. Mais au cœur de ce ballet, le malaise est lisible, chacun le manifeste, chacun est pris dans une forme différente de ce malaise et s’en débrouille ou pas. GVS prend appui sur un fait réel pour s’opposer à la tentation d’en faire un fait divers comme les autres. Il pose sa question, il inscrit un questionnement sur la mort, qu’il poursuivra depuis Gerry, dans Last days, dans Paranoïd park.

La position freudienne concernant l’art nous engageait déjà à rechercher par où une œuvre produit de l’effet. Cet effet est un effet subjectif, une production d’un sujet. La position lacanienne prend au sérieux l’invitation de Freud pour nous engager sur la voie de déterminer en quoi une œuvre est une réponse pour un sujet. Dans ce sens Elephant pose la question sur le rapport entre la cause et l’acte, qui est aussi celle qui agite particulièrement les adolescents. Chez GVS la cause semble perdue, non accessible par les coordonnées individuelles biographiques ou sociales. Seule une singulière décision insondable de l’être détermine l’acte. Chaque adolescent, à sa manière, présente des éléments qui pourraient le pousser à l’acte criminel, dans une injonction acéphale. Chacun à sa façon se trouve au bord d’un débordement de colère, d’une impulsivité de vengeance, victime d’une agression, en proie au ressentiment. Mais l’acte dans lequel deux de ces jeunes vont s’engager et mourir, de façon préméditée et programmée, ne peut pas être reporté à une cause subjective saisissable. Une autre dimension est en jeu, une insondable décision. La détermination de l’acte s’inscrit comme une évidence sans raison, inébranlable.

GVS montre qu’il sait quelque chose de ce qui concerne le moment subjectif de l’adolescence comme propice à la confrontation à un réel. Et c’est ce qu’il ne cesse de tenter de cerner dans ses films.

La position du cinéaste, pour lui, consiste à déplacer la surprise et l’horreur du carnage produits dans l’opinion publique via les medias, vers l’œuvre cinématographique. Sa démarche éthique consiste à positionner le cinéaste comme un traducteur possible du malaise de la civilisation, pour dévoiler l’éléphant que l’on ne saurait voir. Sa démarche esthétique touche au sujet, elle est située hors psychologisme, hors sociologisme, hors sens, pour questionner le rapport entre plus-de-jouir et idéal. Jacques-Alain Miller nous indique que le mathème qui correspond à notre époque est le suivant : a > I. Le plus-de-jouir (un impératif pulsionnel) domine l’Idéal (l’idéal collectif du lien social). GVS semble ajouter que la tuerie du Collège de Columbine montre une disjonction radicale entre un plus-de-jouir et un idéal quel qu’il fût : a // I. Son film se construit sur l’idée que l’objet regard se trouve disjoint de tout idéal. Il se fait homogène à la réalité subjective des adolescents qu’il filme. Les adolescents d’Elephant, restent figés par le plus-de-jouir, sans le connecter à un idéal. Le regard concentre la jouissance sous la forme d’une mise en scène des mouvements des corps, le film est construit sur ce point d’accroche qui empêche de saisir ce qui se trame. La démarche esthétique désidéalisée de GVS réussit du coup à ne pas occulter le réel, car il ne cherche pas à le dissoudre, ou à le nier, ou encore à l’expliquer. Nous sommes simplement aveugles, notre plus-de-jouir reste accroché à des points partiels qui ne nous donnent pas la moindre idée du réel. La transformation du carnage en semblants cinématographiques est une forme de passage de la jouissance au lieu de l’Autre, une forme de représentation qui laisse un reste réel, tout en permettant de le supporter, sans l’expliquer. GVS rend ainsi au réel sa déconnexion avec le monde du sens. « Le manque d’explication, indique-t-il lors d’un interview, est ce qui donne son énergie et sa beauté au cinéma ».

Dans son film, la déliaison est patente, les prises de parole rares, et lorsqu’elles ont lieu elles révèlent une profonde déprise symbolique, déprise de la langue. Les dialogues entre les adolescents ne nous apprennent rien sur eux, et encore moins sur ce qui se prépare (sauf lorsqu’il est déjà trop tard, lorsque l’acte est en marche, déjà entamé, inéluctable), rien encore sur leurs motivations, rien n’en indique en tout cas le sens.

« – Vas-y, et prend ton pied! » – exige l’un des assassins s’adressant à l’autre avant d’ouvrir le feu dans le collège. « Jamais je n’ai vu de jour aussi beau et aussi affreux » déclare à la fin de la tuerie l’un des assassins. Logique imparable de la manière dont le plaisir, à céder sa place à la jouissance, doit immanquablement se payer immédiatement de la mort, comme signe non métaphorique de la condition du sujet moderne.

Eduardo Scarone, avril 2009


Une Réponse to “Violente Adolescence : un éléphant qui ne trompe pas, par Eduardo Scarone”

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