Apprendre de l'artiste

"De l'art, nous avons à prendre de la graine" J. Lacan

  • Apprendre ?

    "(...) le seul avantage qu'un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui fût-elle donc reconnue comme telle, c'est de se rappeler avec Freud qu'en sa matière, l'artiste toujours le précède et qu'il n'a donc pas à faire le psychologue là où l'artiste lui fraie la voie" Jacques Lacan, Autres écrits, Hommage fait à Marguerite Duras, p192.
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Posts Tagged ‘Rodrigo Garcia’

A propos de Gólgota Picnic : entretien avec Rodrigo Garcia

Posted by vrdriguez sur 17 février 2012

Golgota picnic s’est tenu à Toulouse du 17 au 20 novembre 2011 au théâtre Garonne à Toulouse. Pendant les représentations, plusieurs organisation fondamentalistes chrétiennes manifestaient à l’extérieur du théâtre. Pus que jamais, Rodrigo Garcia démontre en acte la fonction de la création théâtrale dans la société laïque. Son écriture et la force de son spectacle démontrent à qui veut s’y confronter qu’il est un metteur en scène à la hauteur des questions de l’époque. Rodrigo Garcia a accepté de se prêter à une petite conversation après la représentation du dimanche 20 novembre.

Nous remercions chaleureusement Jacky Ohayon pour nous avoir accueilli au théâtre Garonne et avoir facilité la rencontre avec Rodrigo Garcia. L’entretien s’est déroulé sur la terrasse du théâtre et a été mené par Christiane Terrisse, Victor Rodriguez et Eduardo Scarone (ADA  pour : séminaire Apprendre De l’Artiste).

  • ADA: Pour commencer, peut-être pourriez-vous nous dire quelques mots de la façon dont vous situez ce spectacle dans l’ensemble de votre œuvre ?

  • Rodrigo Garcia : Eh bien, vous voyez, chaque œuvre est différente. C’est un moment diffèrent de ma vie, et aussi un moment différent dans mon expression artistique. Pour ce spectacle, j’avais très envie de revenir à la littérature, pour donner plus d’importance à la parole sur scène. J’ai toujours donné beaucoup d’importance à la parole, plus précisément, au travail sur les textes. Ce qui se passe bien souvent, c’est que l’aspect visuel, performatif, le jeu de l’acteur l’emportent. Cette fois-ci, j’ai renoncé à beaucoup de choses pour mettre au premier plan la littérature.

  • ADA : Et l’idée du spectacle est venu comment ?

  • RG : À partir de mon intérêt pour la Bible. J’ai toujours aimé la Bible, c’est un livre passionnant. Je voulais travailler sur la figure du Christ, sur le texte de la Bible.

  • ADA : Avez-vous une formation religieuse ?

  • RG : Oui, j’ai été à l’école avec les curés.

  • ADA : Ah… comme nous tous ! (rires)

  • RG : Oui, j’allais à la messe et toutes ces choses là.

  • ADA : Jusqu’à quel âge ?

  • RG : jusqu’à dix-huit ans, c’est à dire, beaucoup, beaucoup !

  • ADA : En Argentine ?

  • RG : Oui, bien sûr en Argentine, j’en suis parti à l’âge de 22 ans.

  • ADA : Pour des raisons politiques ?

  • RG : Non, à mon époque toute cette histoire était finie. J’ai vécu tout ça adolescent, mais c’était déjà le début de la démocratie avec Raul Alfonsin.

  • ADA : Quelle a été votre recherche sur ce sujet ? Vous avez commencé par travailler sur les textes religieux ?

  • RG : Eh bien au début, je voulais travailler avec un théologien. Et nous avons commencé. Mais, très vite, quand il a vu la direction que prenais mon travail, il m’a dit qu’il ne voulait pas continuer, qu’il n’était pas d’accord. Du coup, je suis resté seul. Et, finalement, ça été le prétexte pour mes propres recherches philosophiques, vitales. En quelque sorte, choisir le thème de la religion, un thème aussi vaste, aussi ample, c’est un prétexte pour parler de mes propres questions, mes problèmes : la solitude, l’amour, est-ce qu’il est possible ou pas de vivre ensemble, est-ce qu’il est possible ou pas de nous aimer les uns les autres, savoir si c’est vrai, si cela existe, si on peut vivre ensemble. Ce sont beaucoup de questions pour lesquelles, naturellement, je pouvais me servir de la figure du Christ.

  • ADA : Oui, mais, votre spectacle dit qu’il y a quelque chose qui échoue dans la religion, comme discours, pour que chacun puisse s’orienter dans le monde, dans la vie.

  • RG : Absolument, parce que je pense que le salut est en chacun de nous. Voyez-vous, le salut, … c’est à dire, au fond ce n’est pas à proprement parler le salut. Il s’agit de tenter d’avoir une vie … comment dire ?, bienveillante ! Oui c’est cela ! C’est avoir une vie bienveillante, une vie sociale. C’est une question d’éthique personnelle. Il ne faut pas faire appel à une religion.

  • ADA : Même si nous sommes un peu formatés par ce que nous a légué la religion, ce qui de la religion est inclus dans la culture.

  • RG : Oui, mais je trouve ça malhonnête s’il faut aimer quelqu’un parce qu’on te l’impose de l’extérieur, n’est-ce pas ? Je souhaite aimer quelqu’un parce que c’est un réel besoin pour moi, parce que je le sens et qu’il faut que ce soit comme ça. Ne pas faire le mal à quelqu’un, pas parce qu’on me l’impose, mais parce que je le sens comme ça.

  • ADA : Le pianiste nu sur scène est une image très forte. Est-ce le petit homme nu tombé sur terre et qui se cramponne à l’art pour se soutenir ?

  • RG : Je n’avais jamais pensé à ça. J’aime bien l’interprétation que vous proposez. Quand nous avons travaillé sur cette œuvre « Les sept dernières paroles du Christ » de Haydn, j’ai trouvé cette œuvre si spirituelle, si fragile, tellement pleine de silences, qu’il m’est apparu normal de la jouer nu. Cela me paraissait presque plus normal de jouer cette musique nu plutôt qu’habillé. Voir l’homme, voilà ! Voir l’homme. Il y a aussi la façon de jouer du pianiste (Marino Formenti). Il travaille sur le piano avec quelque chose d’animal, voyez-vous ? Il est comme une sorte d’animal. Cela me rappelait les tableaux de Fra Angelico, et d’autres antérieurs à la Renaissance. Ces tableaux de l’enfer, dans lesquels on trouve souvent des animaux étranges qui dévorent des gens à poil. Le piano m’est apparu être comme un animal qui était en train de manger Marino, il y avait quelque chose de la vision de l’enfer de Bosch.

  • ADA : Le choix des couleurs bleu et orange …

  • RG : Les couleurs, c’est une contingence. Vous faites référence à la peinture sur les corps ?

  • ADA : Oui, les peintures sur les corps coïncident avec les zéniths qui ont aussi ces couleurs.

  • RG : Ah oui, ce sont deux choses différentes. Pour la peinture, la pièce fait référence à l’iconographie, aux grands peintres, et donc cela me paraissait logique de travailler avec de la peinture sur les corps. Pour ce qui est des couleurs, nous avons pris ce qui techniquement fonctionne le mieux. Je n’ai pas eu le choix. Nous avons utilisé les couleurs qui adhéraient le mieux à la peau.

  • ADA : Ce sont des couleurs qui produisent des contrastes.

  • RG : C’est un problème technique avant tout. Ensuite, quant à l’éclairage, ça c’est très amusant, parce que ça tient à ma relation avec mon éclairagiste. Le travail avec la lumière dans mes créations constitue pour moi la moitié ou plus de mon art. Cela fait 24 ans que nous travaillons ensemble, nous ne parlons jamais. Je ne dis jamais rien, il fait ce qu’il veut, il est totalement libre ! Il voit la pièce et il fait ce qu’il veut. Qu’est-ce qui pousse Carlos à choisir ces couleurs ? Franchement, je n’en sais rien, et je ne lui pose jamais la question parce que nous ne voulons pas rompre le mystère de cette liberté de faire ce que nous avons envie de faire. Et, il complète mon travail plastique, enfin, disons, qu’il le complète bien, sinon cela n’aurais pas autant de sens.

  • ADA : Au début de la pièce, on voit le sexe de la femme. C’est « L’origine du monde » ?

  • RG : Ah, non, ça c’est vraiment une bêtise, un clin d’œil au film « Basic instinct ». Mais dorénavant, si on me demande ce que cela signifie, je dirai ce que vous venez de me dire : Bien sûr !, c’est « L’origine du monde ». Parce que si je dis que c’est une bêtise, je vais être ridicule.

  • ADA : Quand le public voit cette image de « L’origine du monde », personne ne rit, en revanche, quand on voit le pénis, tout le monde rit !

  • RG : Oui, c’est vrai, et pourquoi d’après vous ?

  • ADA : parce que le pénis est toujours comique. Par contre, la représentation du sexe féminin comporte une dimension angoissante. C’est un autre contraste présent dans votre pièce. La réaction du public n’est pas la même. Ce n’est pas du tout une bêtise ! C’est plutôt une trouvaille … Que pouvez vous nous dire à propos du choix des aliments, pas seulement les pains disposés au sol, mais les légumes, les fruits ?, cela rappelle Archimboldo.

  • RG :Oui, c’est exact, c’est très Archimboldo. Mais sincèrement, c’est une ressource théâtrale. Je voulais … comment dire ? Faire des masques pour les acteurs. Je ne voulais pas que l’on voit les acteurs mais qu’on voit des masques. Les légumes ont été une façon de créer des masques.

  • ADA : Et les vomissements, ce n’est pas une bêtise ça ?

  • RG : Non, bien sûr. Ces vomissements accompagnent un texte très particulier dit par les acteurs à ce même moment. C’est un texte qui évoque les affaires politiques, et la participation des politiques à la société de l’opulence, par contraste avec les sociétés de la misère du tiers monde. Et en effet, cela va de soi d’accompagner un propos vomitif par une image vraiment vomitive.

  • ADA : Il y a un dialogue entre les performances des acteurs et le texte. Notamment une scène où les corps s’entrelacent, s’entremêlent et simultanément deux personnages jouent une scène de confession. Le spectateur est porté à faire un choix entre regarder les corps ou écouter la confession. C’est un contraste fort. Comme s’il y avait un choix à faire entre entendre le texte et se divertir avec les scènes mimées.

  • RG : Oui, je n’aime pas atteindre le fait dramatique d’une manière conventionnelle ou orthodoxe. La manière orthodoxe est celle qui fait que l’acteur qui parle est celui qui porte le fait théâtral. Pour ma part, je préfère que l’acteur qui parle soit un peu froid, un peu distant, et qu’au même moment se déroulent des choses qui donnent au texte un autre sens. Comme lorsque Nuria parle et que les autres acteurs construisent cette tour de Babel avec des hamburgers remplis de vers de terres vivants. C’est très important pour moi de toujours créer une image qui complète le texte.

  • ADA : Comment vous est venu l’idée du titre, Golgota picnic, dés le départ ou à la fin ?

  • RG : Le titre est arrivé à la fin du travail. Au début, je voulais donner au spectacle le titre de la pièce de Haydn « Les sept dernières paroles du Christ » en modifiant « paroles » par « mensonges ». Je voulais donner comme nom à la pièce « Les sept derniers mensonges du Christ sur la croix ». Puis finalement, je me suis aperçu que le titre n’avait aucun sens par rapport à la pièce et, le dernier jour, avant la première, j’ai changé pour « Golgota picnic ».

  • ADA : … et picnic c’est en raison de tous ces aliments que vous présentez. Et c’est aussi le picnic avec le corps et le sang du Christ, comme dans la communion chrétienne « ceci est mon corps, ceci est mon sang ». C’est la nourriture et la croyance en la transfiguration.

  • RG : Tout à fait. Mais, il y a aussi un versant un peu voyou. J’aimais cette idée de désacraliser le Golgota, d’en faire un lieu banal de picnic.

  • ADA : On ne peut pas en dire autant de ces gens qui sont là dehors chantant des cantiques et des hymnes patriotiques

  • RG : Oui en effet, ils n’ont aucun sens de l’humour !

  • ADA : C’est un contraste très fort entre la musique de Haydn à l’intérieur et les chants répétitifs, qui deviennent vulgaires, à l’extérieur du théâtre. Les spectateurs entendaient ces chants pendants que Marino Formenti jouait du piano.

  • RG : Quelle folie, vous ne trouvez pas ? Pour les gens qui veulent voir le spectacle tranquillement et qui ont payé leur places, ce sont eux qui commettent un authentique abus ! Un abus contre la liberté des gens qui ont payé leur place.

  • ADA : cela donne encore plus de spiritualité à votre texte. A ce propos, votre texte, comment l’avez-vous écris ? C’est un texte qui existait déjà ou que vous avez écrit pour la pièce ?

  • RG : Je l’ai écrit au fur et à mesure. J’ai pour habitude d’écrire pendant que nous répétons. Dans le texte qui a été publié, j’ai écrit un petit prologue où j’explique un peu la confection du texte. Vous avez le livre ?

  • ADA : pas encore.

  • RG : Là je m’explique et c’est amusant ce que j’en dis, en plus c’est authentique.

  • ADA : merci beaucoup.

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